La nature (re)prend ses droits
Compte tenu des processus dévastateurs en cours tels que la pollution de l’air, de l’eau, des sols, ou encore de la déforestation, des changements climatiques, de la disparition progressive et inéluctable de la biodiversité, les enjeux environnementaux deviennent cruciaux… et des réponses juridiques s’imposent comme étant susceptibles de pouvoir apporter une amorce de solution.
La possibilité de consacrer la reconnaissance de la personnalité juridique de certaines entités naturelles, comme un fleuve, une montagne, ou la biosphère apparait comme une parade efficace pour les protéger en permettant de mener des actions en justice en leur nom.
Ce postulat semble suffisamment digne d’intérêt pour que le barreau de Paris retienne cette thématique et programme l’organisation d’une conférence de rentrée sur le sujet.
Le droit de l’environnement et les droits de la nature
Le droit de l’environnement, et les droits de la nature partagent le même but qui est celui de protéger les écosystèmes mais leur objectif respectif est différent.
Le premier vise à protéger les ressources au service de l’Homme.
Les droits reconnus à la nature offrent un cadre juridique de gouvernance pour l’ensemble des entités du monde naturel, l’Homme en faisant intrinsèquement partie.
Ce concept est directement inspiré de la vision des peuples autochtones selon laquelle nous faisons tous partie intégrante de la Nature au même titre que les animaux et les végétaux.
Inspirés de la jurisprudence de la Terre, ces droits ont commencé à émerger à partir des années 2000.
On les définit comme « un ensemble de règles reconnaissant et protégeant, au titre de leur valeur intrinsèque, les entités naturelles et écosystèmes en tant que membres interdépendants de la communauté indivisible de la vie.» L’Homme ne règne plus sur les écosystèmes mais devient l’un des membres du vivant.
Reconnaître des droits à la nature permet donc de ne plus subordonner sa défense à l’existence d’intérêts humains en péril.
Thomas Berry, l’un des pionniers de l’institutionnalisation de ces droits de la Nature
L’un des pionniers de l’institutionnalisation de ces droits de la Nature, Thomas Berry *, historien des cultures, a mis en exergue un triptyque des droits fondamentaux auxquels peut prétendre toute entité du vivant : celui d’exister, de disposer d’un habitat et de jouer son propre rôle dans les cycles de la communauté de la terre.
Plusieurs textes de référence ont été adoptés en la matière : en 2008 la Constitution équatorienne, en 2010 la loi cadre bolivienne sur les Droits de la Terre et la Déclaration universelle des droits de la Terre Mère ou encore en 2016 la Déclaration mondiale de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) qui a le mérite d’avoir fédéré autour de ces préoccupations majeures l’Asie, l’Afrique, l’Europe de l’Est et l’Asie centrale , l’Europe, la Méditerranée, l’Amérique du Nord, l’Océanie et Mexico.
La liste de ces droits est claire et sans équivoque. On y trouve le droit à la vie, au respect, à la régénération, à l’identité propre, le droit à l’air pur, l’eau, le droit à la pleine santé, le droit de ne pas être pollué, de ne pas être transformé ni génétiquement modifié, et enfin le droit à réparation en cas de violation.. !
Comment la nature peut défendre ses droits
Ceci étant posé, reste la question de savoir comment la nature peut défendre ses droits puisque ceux-ci demeurent différenciés. Seule une approche systémique est adaptée à la cause : les insectes ont des droits d’insectes et les rivières des droits de rivière.
Autrement dit on ne saurait reconnaître une quelconque violation d’un droit de la nature si un poisson est pêché. Un tribunal ne pourra être saisi que si l’entier de l’écosystème se trouve avoir été dégradé en l’occurrence la rivière polluée par exemple et qu’il y a mise en péril de sa capacité à se régénérer.
Face à ce faisceau d’informations et d’indices laissant augurer de la bonne volonté de tout un chacun à trouver des solutions aux périls qui nous guettent, un constat s’impose : Le temps est venu de transformer notre vision !
L’enseignement est à ce niveau une dynamique essentielle pour aider les juristes à transformer celle qu’ils ont de leur discipline, et les jeunes celle qu’ils ont du monde.
Thomas Berry est sans équivoque à ce sujet :
« Nos institutions éducatives doivent avoir pour objectif non pas de former un personnel à l’exploitation de la Terre mais de guider les étudiants vers une relation intime à la Terre »
Les Nations Unies sont également plus que favorables au renouvellement de l’enseignement de notre rapport au monde.
Les masters en Droit de l’environnement existent en France depuis les années 1980, mais en 2017, la Commission européenne a amorcé le financement d’un projet de coopération pour créer le premier master de « Droits de la nature et Consolidation de la Paix » La Colombie, l’Equateur la France ou encore l’Italie y participent.
«La nature reprend ses droits»
Quand on utilise aujourd’hui l’expression « la nature reprend ses droits », c’est en général le préambule de l’annonce d’une catastrophe naturelle.
A bien y réfléchir, je doute que la terminologie soit ici appropriée : « reprendre » voudrait dire que ses droits lui auraient été préalablement retirés…et qu’elle agirait dans un esprit de vengeance.
A ce stade nous sommes seulement en passe de les lui reconnaître et il ne faudrait pas tarder !Il
Alors que dire de la perspective annoncée des Jeux Olympiques d’hiver en 2029… en Arabie Saoudite avec le cortège insensé d’aménagements « contre nature » – le terme est plus qu’approprié – auxquels il faudra procéder ( production de neige artificielle dans un pays où la température peut monter jusqu’à 45 degrés, construction de villes dans des montagnes désertiques et autres infrastructures destinées à créer une atmosphère hivernale en plein cœur du désert saoudien ) ?!
« Nous n’héritons pas de la terre de nos ancêtres, nous l’empruntons à nos enfants »
Cette citation est attribuée à Antoine de St Exupéry.
Dans le contexte de l’époque, en France en tous cas, la construction du futur s’appuyait sur un héritage patrimonial : passionnés par notre Histoire, c’est un passé glorieux que nous entendions faire perdurer et transmettre..
Aujourd’hui, cette affirmation est lourde d’un sens différent.
A quoi pourrait servir le passé si le futur de la Terre n’est pas assuré ?
Il est temps de reprendre nos esprits !
Issus de
- Auteur du livre « Le rêve de la terre »