Les pratiques artistiques transforment-elles le monde?
Voici le sujet de dissertation proposé cette année aux élèves de terminale en France pour leur épreuve de philosophie du baccalauréat général.
On prête beaucoup de vertus à la philosophie qui se traduit littéralement par « l’amour de la sagesse ». On pourrait la décrire comme une démarche visant à tenter de comprendre le monde et la vie en utilisant une réflexion voulue rationnelle et critique. Ce n’est certes pas à la portée de tout le monde et le sujet du baccalauréat est pour un certain nombre d’étudiants, la dernière occasion à saisir dans leur vie pour se livrer à un tel exercice.
Le choix du sujet de 2022 est-il symptomatique de questions suscitées par la pose d’un diagnostic sur la santé de notre monde?
Pour apporter une réponse à la question posée les puristes diront qu’il est intéressant d’analyser ce que l’on entend par « transformer » et de proposer une définition du monde que l’on envisage. En ce qui me concerne, c’est surtout la notion de « pratiques artistiques » qui m’a interpellé.
On ne parle pas ici d’art à proprement dit, donc pas seulement de production d’œuvre tangible – comme un tableau ou une sculpture par exemple. Il peut s’agir d’une performance – une danse, ou encore une pratique culinaire, mais on peut aussi l’envisager en se plaçant du côté de celui qui regarde et est censé percevoir l’émotion qui se dégage.
Le peintre et homme de lettres français Marcel Duchamp disait que « c’est le regardeur qui fait l’œuvre d’art » Si on le suit, ce n’est donc plus l’objet ou le résultat voulu par l’artiste qui compte mais la magie qui découle du regard de celui qui l’appréhende.
Et cela va plus loin que le regard posé par un unique contemporain : Il faut y englober toute la postérité qui vote en faveur de la pérennité ou non d’une chose sous prétexte de la profondeur produite par l ’artiste… qui parfois n’en n’est pas conscient lui-même.
L’art peut donc être partout mais il semble évident que moins une œuvre résulte d’une technique ou d’un travail complexe et reconnu comme tel et plus il est nécessaire de constituer un cercle de « sachants » s’attribuant le rôle de valider : « oui ceci est bien de l’art »..De là à dire que parfois certains consensus pourraient faire débat…
Pour en revenir au sujet de l’épreuve, l’art est une activité créatrice et non productrice. De facto, il parait difficile de pouvoir envisager qu’il ait vocation à changer le monde dans son acceptation de réalité extérieure ,puisque nulle part dans le processus artistique, n’apparait la notion d’efficacité technique d’un quelconque résultat.
Mais le Monde, est aussi fait des relations que nous entretenons avec tout ce qui n’est pas nous-même soit, la nature, les êtres humains, les animaux, le langage etc… A ce niveau, les pratiques artistiques peuvent jouer un rôle et nous inciter à découvrir ou ressentir des choses qui n’atteignaient pas notre conscience ni nos sens avant que nous ayons pu visionner leur résultat.
Qui dit pratiques artistiques, parle aussi des modes de réception et de diffusion des œuvres d’art qui connaissent des avancées considérables depuis plusieurs dizaines d’années. L’art n’est plus inaccessible. L’éducation et l’initiation aux pratiques artistiques se sont considérablement démocratisées. On peut citer la Fête de la Musique comme un exemple significatif, de même que l’invention du cinéma et la généralisation de son accès au grand public.
Voici comment j’aurais articulé les axes de réflexion dans ma copie si j’avais eu à plancher sur ce sujet avec un développement en demie teinte respectant la sacro-sainte articulation des dissertations de notre jeunesse qui conjuguent thèse et anti thèse avant de livrer une synthèse qui pour moi serait:
Oui les pratiques artistiques transforment notre monde en ce qu’elles influencent et nourrissent notre vision des choses ! Il ne faut hélas pas y voir un remède immédiat aux troubles et drames qui l’agitent. Mais je me plais à considérer qu’il s’agit pour chacun d’entre nous d’une incitation à l’expression d’une sensibilité enfouie voire inconnue. Et si Oscar Wilde a raison quand il écrit que « les choses sont parce que nous les voyons » alors les pratiques artistiques sont un prisme dont il ne faut surtout pas se priver pour peut-être aiguiser notre sens de l’observation et aider ce Monde à tourner plus rond!