NFTs … Nouvelle Histoire de l’Art ?
L’art est sans doute la seule activité qui fait exclusivement appel aux sens, à l’émotion.Il n’a pas de fonction pratique définie mais l’idée que l’on se fait de cette activité plurielle est bien le propre de l’Homme et de son intellect.
Dans notre monde en constante évolution, le numérique a pris une place prépondérante dans (presque) tous les domaines et utilise un vocabulaire fait de sigles ou acronymes – souvent d’origine anglophone – qui n’ont rien à envier à la pratique d’une langue étrangère à part entière.
Et en ce moment 3 lettres mettent le feu au web : N F T, littéralement Non Fungible Tokens ou encore jetons non fongibles.
L’adjectif « fongible » est issu d’un champ lexical économique et fait référence à un actif qui peut être échangé contre un autre de valeur identique. A contrario un bien non fongible ne peut en aucun cas être échangé ce qui lui confère un caractère unique donc rare et cher.
Les NFTs sont avant tout une méthode d’authenticité garantie par un certificat sécurisé par blockchain… encore une appellation barbare utilisée pour désigner une technologie de stockage et de transmission informatiques d’informations infalsifiables et indestructibles.
Rapide et sécurisée, ne dépendant d’aucun organe central, elle peut être partagée de façon simultanée avec tous ses utilisateurs.
Cette unité de donnée – NFT- confirme donc l’authenticité d’un bien numérique et l’historique de la transaction prouvant ainsi que celui qui détient le fichier est bien l’unique propriétaire de cet actif et donc autorisé à le vendre.
Mais à la différence des crypto-monnaies, il ne peut pas être utilisé comme méthode de paiement et est susceptible de revêtir la forme de presque tout, en ce compris des œuvres d’art, de la musique, des garde-temps ..voire même des souvenirs sportifs ou encore des tweets.
Depuis 2021, l’utilisation des NFT a été consacrée dans le marché de l’art.
Si au départ le but était bien de certifier la propriété d’œuvres d’art numériques et de conserver une trace immuable des transactions dont elles faisaient l’objet, cette utilisation a rendu possible une sorte de collection d’œuvres dites NFT, qui sont devenues de ce fait des actifs spécifiques et un nouvel eldorado pour un nombre grandissant d’artistes et de collectionneurs de tous horizons.
Ces NFTs peuvent représenter n’importe quel type de produits, virtuels – images, clips, videos – ou bel et bien réels- peintures, biens immobiliers …
Un artiste peut ainsi encoder les caractéristiques significatives et uniques de sa création pour en faire un actif NFT qu’il vendra à un collectionneur. Les transactions sont rapides , le marché … juteux et les exemples de plus en plus nombreux :
L’artiste canadienne Grime a mis moins de 20 minutes pour vendre à 5’8 millions de dollars les NFTs d’une collection de dessins inspirés de la mythologie nordique.
Le plus célèbre à ce jour est Beeple ( Mike Winkleman) devenu l’un des artistes les « plus précieux » de son temps après la vente record en mars 2021 du NFT de son collage Jpeg « Everydays : the first 5000 days » chez Christies pour 69 millions de dollars ! C’est en l’occurrence un riche homme d’affaires singapourien ayant fait fortune dans les cryptomonnaies qui s’en est porté acquéreur. La bulle autour des NFT est donc relative à celle des cryptomonnaies : les personnes qui se sont enrichies avec cette monnaie virtuelle ré-investissent partie de leurs gains dans ce même univers numérique.
Il faut toutefois raison garder : le prix moyen d’un NFT tourne en général aujourd’hui autour de 100 dollars ,sans commune mesure donc avec ces montants qui ont affolé les media grand public.
Une initiative intéressante est celle du Montreux Jazz Festival, adepte historique des nouvelles technologies qui s’est mis cette année aux NFTs
Son directeur, Matthieu Jaton, y voit pour les jeunes musiciens un fort potentiel de rentrer dans un nouveau système de monétisation de leur art et entend mettre en place un accompagnement dans le développement de ces nouvelles opportunités. A long terme il entrevoit une tendance qui permettrait de proposer aux festivaliers des expériences nouvelles en acquérant des NFTs sous forme de systèmes d’accès dans les manifestations.
Cette année c’est avec les arts visuels qu’il démarre le processus en tirant parti du patrimoine que représentent les affiches du Festival. En partenariat avec la plateforme américaine OneOf cautionnée par Quincy Jones, il a proposé lors du lancement du programme le 21 avril 2022, des NFTs de représentations d’artistes dessinées par le français Greg Guillemin. Dans un but pédagogique le NFT de l’affiche 2022 réalisée par Camille Walala est disponible gratuitement afin de permettre au public de découvrir le système des blockchains et des marketplaces et de se familiariser avec ce nouveau monde et les modes d’acquisition proposés.
Et cela va encore plus loin : à l’instar de Monsieur Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, certains acteurs de disciplines comme le sport peuvent se voir qualifiés d’artistes et pas seulement dans les propos pleins d’emphase des commentateurs.
Ce qui singularise une œuvre « classique », c’est sa rareté.
Or la particularité des NFTs, tient à la fois à la rareté de son support et à celle qu’on lui attribue de façon tout à fait subjective. De fait le public sportif peut être invité à acquérir l’original d’un revers de Roger Federer ou d’un coup franc de Ronaldinho.
Dans ce cas de figure, les NFTs peuvent devenir un marché immense pour financer le sport et offrent aux passionnés un nouveau moyen de suivre les matches. Cela peut même aller jusqu’à fédérer de simples spectateurs jusque-là occasionnels, séduits et fidélisés par la perspective de posséder des « moments » de l’évènement ou de la vie d’un sportif qu’ils admirent.
Cette dimension participative peut s’avérer positive dans un tel cas de figure.
Serait-ce le début d’un prochain chapitre de l’Histoire de l’art ?
Les acheteurs se portent en fait acquéreurs de droits limités pour afficher l’œuvre d’art numérique, mais à y regarder de près, loin de s’approprier une émotion ils pourront d’avantage prétendre à l’expression d’une certaine vantardise … et exciper la propriété d’un actif qu’ils pourront revendre plus tard.
L’art est un marqueur social et la valeur d’une création dépend d’un consensus.
Les confinements successifs de ces derniers mois ont modifié l’appréhension des critères de distinction sociale. Dans ce qu’il convient d’appeler aujourd’hui l’identité numérique, posséder une Rolex tangible ne présente pas un grand intérêt dans les métavers puisque personne ne la voit. En revanche, posséder un avatar, un Jpeg , est un marqueur plus puissant qui touche des millions de gens.
L’avenir ressemblera-t-il à un Metavers où chacun possédera sa maison virtuelle avec une copie NFT d’un Picasso au mur et arborera au poignet de son avatar une Rolex en pixels ?
L’avenir de l’art pourra-t-il se jouer sur la blockchain et dans ce cas, que va devenir le marché de l’art traditionnel ?
« Ce qui fait la noblesse d’une chose c’est son éternité »…. ainsi parlait Léonard de Vinci !
Il y a toujours eu dans l’art un aspect spéculatif .. il serait toutefois bon de veiller à ce que la valeur financière ne supplante pas la noblesse … de l’art tout simplement.