« Tous Mécènes » pour la tabatière du duc de Choiseul
En novembre dernier, Le musée du Louvre a lancé la 13ème édition de sa campagne d’appel au don « Tous Mécènes » dans le but de se porter acquéreur d’un chef d’œuvre très prisé de l’art de la miniature, ce dérivé de l’enluminure médiévale apparu au XVIe siècle pour la réalisation de portraits.
Il s’agit d’une précieuse tabatière réalisée entre juillet 1770 et juillet 1771 par Louis-Nicolas Van Blarenberghe, artiste lillois réputé pour l’extrême minutie de son travail et un sens aigu de l’observation.
On lui doit la reproduction d’innombrables paysages, de vues de châteaux, ou de scènes directement inspirées d’évènements festifs où l’on voit se côtoyer différents personnages ou personnalités tous hauts en couleurs. Ces différentes peintures miniatures étaient montées en tabatière, objet usuel du quotidien de l’époque.
Celle dont il est question aujourd’hui, signée des poinçons de Louis Roucel orfèvre privilégié du roi, a été exécutée pour le Duc de Choiseul qui fut Ministre et Secrétaire d’Etat des Affaires étrangères, de la Guerre et de la Marine jusqu’à son exil en Touraine en 1770 qu’il ne sera autorisé à quitter qu’à la mort du roi Louis XV en 1774.
Cet objet raffiné et précieux se trouve donc être contemporain de sa disgrâce. Mais c’est surtout un témoignage de l’intimité et du prestige d’un collectionneur passionné du XVIIIe siècle qui fut aussi l’un des plus grands ministres de son époque.
Son caractère unique tient à la petitesse de sa taille : 8 centimètres de longueur, 6 centimètres de largeur et.. 2,4 centimètres de hauteur ! Sur chacune de ses six faces figurent d’exceptionnelles miniatures peintes à la gouache sur vélin, protégées par de petites plaques de cristal.
L’exécution de cette tabatière
L’exécution de cette tabatière se situe dans un contexte ou le miniaturiste lillois s’était vu gratifié par Louis XV du brevet de « peintre des batailles » – ancêtre en quelques sortes de nos reporters de guerre.
Les miniatures de cette tabatière décrivent avec une précision remarquable et inégalée le cadre de vie du Ministre tant dans les différentes pièces de sa résidence parisienne, l’Hôtel Choiseul rue de Richelieu, que dans son cabinet de travail à Versailles ou encore dans la Grande Galerie du Louvre . On l’y voit s’habiller, recevoir, travailler … Cette tabatière est particulière et unique en son genre dans l’œuvre pourtant abondante de l’artiste.
La précision de ces peintures miniatures est telle qu’elle a rendu possible l’identification de certains des personnages ainsi représentés telle que la duchesse de Gramont, sœur du duc de Choiseul lui-même. La minutie des détails de la représentation de chaque tableau permet de les identifier avec précision. La vue de la Grande Galerie du Louvre est au demeurant l’unique témoignage visuel de l’état originel des décors conçus par Nicolas Poussin au début des années 1640 et restés inachevés.
Acquis par le baron Gustave de Rotschild au milieu du XIXe siècle
Cet objet a été acquis par le baron Gustave de Rotschild au milieu du XIXe siècle et est resté dans la famille depuis lors. Elle est aujourd’hui mise en vente par la Maison Christie’s au prix de 3’9 millions d’euros Et c’est pour permettre à cet objet remarquable de rejoindre les collections nationales que le musée du Louvre lance aujourd’hui un appel.
Bénéficiant déjà du soutien de la Société des Amis du Louvre, le musée continue sa recherche de fonds auprès d’entreprises et autres donateurs pour rassembler – d’ici le 28 février 2023 – le montant total nécessaire à son acquisition.
Celle-ci constituerait un préalable à l’occasion unique de reconstituer dans le moindre de ses détails l’histoire de ce chef d’œuvre français du XVIIIe siècle qui étant resté « en mains privées » très longtemps, est bien loin d’avoir livré tous ses secrets. Cette acquisition permettrait aussi au plus grand nombre d’entre nous de la découvrir.
La première campagne a permis au Louvre de réunir près de 30 000 donateurs
La première campagne « Tous mécènes » lancée en 2010 avait permis au Louvre de réunir près de 30’000 donateurs. Fédérer ainsi les citoyens autour d’une sorte de « communion patrimoniale » fait accéder à la conscience du fait que l’art fait partie de nos racines et doit être porté à la connaissance du plus grand nombre d’entre nous.
La société des Amis du Louvre participe régulièrement à ces opérations en versant de gosses sommes mais on constate également une multitude de dons personnels, souvent modestes, qui contribuent à rendre possible la restauration ou l’acquisition d’œuvres des collections nationales. On peut ainsi citer l’acquisition en 2018 du Livre d’heures de François 1er, ou encore la rénovation de la Grande allée des Tuileries. Ce dispositif de campagne s’améliore au fil du temps et force est de constater que le lien et l’attachement du public au musée et à ses collections est de plus en plus fort.
Le philosophe français Henri Bergson propose une définition qui me semble pertinente pour appréhender la place qu’occupe l’art dans nos vies et qui pourrait justifier, s’il en était besoin, cette volonté citoyenne de participer à l’effort de (re)constitution d’un patrimoine artistique et culturel national : L’art vise à imprimer en nous des sentiments plutôt qu’à les exprimer.
Actuellement exposée sous la pyramide du Louvre, les couleurs de cette tabatière flamboient, demeurées intactes depuis 250 ans. Chacun en la contemplant est susceptible d’imprimer en lui ce sentiment d’appartenance à une Histoire dans laquelle se trouvent nos racines !..