Les droits de la vie d’artiste
En quoi consiste vraiment « la vie d’artiste » ?
Devenue une expression populaire consacrée elle est souvent mal employée pour définir ce que l’on pense être une vie de bohême passée à créer .
Et pourtant il est souvent bien long le chemin semé d’embûches qui mènera- peut-être -à la consécration.
L’Art est une fenêtre ouverte sur l’expression d’émotions endormies à qui notre quotidien ne donne que trop peu d’occasions de s’éveiller
Celles que l’on entend en parler le plus souvent, ce sont les Maisons de vente : mais y a-t-il vraiment beaucoup d’amoureux de l’art dans ce milieu d’experts ou l’accent est davantage mis sur le business que sur la performance créative ?
Le peintre et graveur symboliste français Odilon Redon (1840-1916) n’était peut-être pas le plus habilité à faire preuve d’optimisme…- puisqu’il a choisi de mettre son art au service de l’exploration de la part sombre et ésotérique de l’âme humaine à travers l’étude des mécanismes du rêve.
Mais la définition qu’il a donné de l‘artiste nous incite à pousser la réflexion un peu plus loin.
L’artiste vient à la vie pour un accomplissement mystérieux. Il est un accident. Rien ne l’attend dans le monde social
Les termes choisis à l’époque sont plutôt rudes.. Mais les temps ont-ils vraiment changé ?
Pour un artiste consacré combien de vocations incomprises ?
Dans notre société où chaque matière est réglementée, où tout est sujet à controverse, où l’information avant d’en être une circule déjà sur les réseaux dits sociaux, la solitude des jeunes artistes n’est pas qu’un leurre.
Prenons par exemple la notion de droit d’auteur créée au bénéfice des artistes émergents : la matière est ardue, le jargon complexe et inaccessible au commun des mortels. Ces jeunes artistes sont du reste particulièrement fragilisés par l’antagonisme d’une situation qui consiste à vouloir partager avec le plus large public le fruit de leur créativité dans le but de se faire connaître, et l’importance qu’il convient d’accorder à la protection de leur création qui devrait prévaloir pour faire fructifier le principal actif que constitue leur œuvre.
La formation des artistes ne contient pas, dans la grande majorité des cas, de cours dédiés à l’apprentissage de leurs droits. Ils sont donc désarmés lorsqu’il s’agit de protéger et de valoriser leurs créations, et se trouvent trop souvent dans une situation d’infériorité pour négocier favorablement avec leurs intermédiaires.
En France, le Barreau de Paris, à l’initiative d’une jeune avocate diplômée en Histoire de l’art, s’est inspiré d’un modèle australien pour combler un vide manifeste en la matière dans notre pays :The art Law Center de Sydney qui a également fait des émules au Canada et à NYC.
Forte des observations faites in situ lors de son immersion en tant que stagiaire bénévole, elle est revenue au pays avec la ferme intention d’importer ce modèle, rencontrant l’enthousiasme des artistes préalablement consultés.
Ainsi est né le Barreau des Arts, association 1901 dont la mission – en partenariat avec le Barreau de Paris Solidarité – est de promouvoir l’accès au droit à des auteurs et artistes précaires. Cela passe par des conseils juridiques dispensés gratuitement aux artistes, mais aussi par la mise en place de ressources éducatives pour promouvoir leur compréhension du droit. En mettant ainsi à leur disposition les outils et moyens nécessaires à la mise en place de leur périmètre de sécurité respectif, il ne leur reste plus qu’à se concentrer sur leur création quel qu’en soit le mode : musiciens, comédiens, réalisateurs, artistes visuels ..etc..
Sur le point de naître, le Barreau des arts a du se conformer à un certain nombre d’exigences déontologiques définies et contrôlées par l’Ordre des avocats. Ainsi par exemple, l’activité de conseil ne doit jamais s’apparenter à de l’apport d’affaires : les contacts doivent se faire par téléphone et de façon anonyme, et les bénéficiaires doivent répondre aux critères de revenus de l’aide juridictionnelle.
Mais il y a une autre dimension à cette initiative qui mérite d’être soulignée ici :
Les artistes sont depuis longtemps conscients des problèmes inhérents à leur situation et se sont souvent mobilisés au sein de collectifs ou de groupes sociaux voire sur les réseaux sociaux pour trouver notamment des moyens de négociation plus équitables pour valoriser leur art.. et être en mesure d’en vivre. Le besoin est réel et la dérision a parfois été un bon moyen de sensibiliser les foules. Ainsi le #respectetonartiste recense avec un humour corrosif quelques situations dans lesquelles les droits de certains artistes ont bel et bien été bafoués.
Les avocats quant à eux font face à une rupture avouée entre les valeurs de leur profession et la réalité de terrain qu’ils rencontrent notamment dans les affres du métier d’avocat d’affaires. La profession est critiquée et les jeunes s’en émeuvent et semblent de plus en plus enclins à s’investir dans des actions pro bono même si force est de constater que la France à ce niveau accuse un retard certain par rapport aux pays anglo-saxons.
Le Barreau des Arts répond aux avocats spécialisés en propriété intellectuelle et droits d’auteurs désireux d’entreprendre des activités pro bono. Les étudiants, souvent soucieux de professionnaliser leur année de master, trouvent dans cette association une réponse effective à ce souhait. Chargés de l’écoute des artistes bénéficiaires au téléphone, ils construisent les dossiers transmis par la suite aux avocats bénévoles.
Ce barreau des Arts est donc une expérience à la fois associative et professionnalisante qui a pour mission de faciliter la vie de l’artiste ..tout en humanisant celle de l’avocat. L’initiative mérite d’être soulignée.