Street Art: «la censure est la formule ratée de la critique»*

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Miss Tic s’est éteinte il y a quelques semaines. Le monde du Street art est en deuil et les légendes incisives qui accompagnaient ses pochoirs vont manquer aux murs de Paris. Pour celle qui « répondait du tac au tag » c’est « terre minée »**

J’ai été séduit par la personnalité de Rhadia Novat, cette figure parisienne du Street art, née d’un père immigré tunisien et d’une mère normande. Son pseudo Miss Tic a été emprunté à une petite sorcière créée par Carl Barks pour Walt Disney, qui essaie de voler le sou fétiche de Picsou et n’y arrive jamais. Attirée par ce qui brille, sa recherche n’aboutit pas…Faut il y voir un symbole du long chemin à parcourir avant la consécration ?

Car il aura été long son chemin de Château-Rouge au Sacré-Cœur en passant par les cités, où elle aura été sensibilisée à l’art urbain très tôt en commençant par brûler les planches du théâtre de rue.

 Elle découvrira le milieu Punk à Los Angeles et San Francisco et plus généralement la violence de la société américaine et finira par rentrer à Paris.  En 1985, de ses rencontres avec les artistes de la Bande Ripolin et Vive la peinture, naîtra cette vocation « d’enfiler l’art mur pour bombarder les mots cœurs » qu’elle immortalisera sur un mur du 14e arrondissement, en légende de son premier auto-portrait réalisé au pochoir.

Et il en aura fallu du courage et de l’opiniâtreté pour lutter contre la hargne de la police dans les années 1990, période qui voit proliférer les tags interprétés par les habitants bien-pensants comme une violation de l’espace public tout autant que comme une dégradation de biens privés.

Elle parviendra pourtant à évangéliser et convaincre la mairie et les habitants du 20éme arrondissement d’abord puis du 5e, puis de la Butte aux Cailles, pour imprimer 50 pochoirs, copiant des fragments de tableaux célèbres qui viendront égayer les murs de Paris.

On tombe dessus furtivement et les sous-titres sont autant de clins d’œil témoignant s’il en était besoin que dans la vie tout est question d’orthographe et que l’expression « jeu de mots » n’est pas une vue de l’esprit tant il est vrai que les mots aussi peuvent s’amuser entre eux.

Elle aura été forte dans l’adversité, et continuera de travailler avec passion refusant d’être considérée comme une délinquante malgré quelques condamnations. 

Mais la finesse et la subtilité de son art finiront par être remarquées et faire des émules : Louis Vuitton, Kenzo,  ou encore la ville de Montpellier choisiront Miss Tic pour réaliser certains designs devenus emblématiques figeant ainsi pour la postérité des œuvres initialement vouées à l’éphémère .

Ce mouvement artistique contemporain, cet art des endroits publics qui s’est développé à la fin du siècle dernier a connu des débuts difficiles.

Les motivations des artistes sont très différentes et cet art a été avant tout affublé d’une valeur subversive flirtant avec l’illégalité. Il provoque, choque, vandalise, mais émeut aussi. Une chose est certaine, il ne laisse pas indifférent ! 

C’est en 2000 que sera créée une association regroupant 80 artistes -le M.U.R ( Modulable, Urbain et Réactif) –  qui à tour de rôle, tous les 15 jours squattent de grands panneaux publicitaires rue Oberkampf à Paris pour y exposer leur œuvre. C’est la première pierre à l’édifice de la reconnaissance de cet art éphémère  qui sera consacré en mars 2009 en France quand le Grand Palais ouvrira ses portes à 150 tagueurs internationaux pour une exposition mémorable.

La Fondation Cartier suivra quelques mois plus tard avec une exposition « Né dans la rue ». Le Street art est alors reconnu .. et les collectionneurs affluent !

Aujourd’hui certains artistes sont incontournables et à suivre dans la démonstration de leur art souvent engagé  : la polonaise Natalia Rak connue pour ses gigantesques peintures murales aux couleurs vives, l’italien Stoz , la sud- africaine Faith 47 très engagée dans la défense des droits des animaux , le français JR qui transpose ses photographies sur les murs des villes du monde entier pour rendre visible la condition des jeunes des banlieues, ou encore l’Américain Shepard Fairey et sa marque de fabrique OBEY, sigle avec lequel il incite les passants à sortir de l’indifférence et ouvrir les yeux sur le monde qui les entoure .

Impossible enfin de ne pas citer Bansky, dont on ne connaît pas grand-chose et qui mène la danse dans l’anonymat depuis plus de 30 ans. On se souvient bien sûr de sa Petite fille au ballon mais il fascine, intrigue, provoque avec un autre art qui est celui d’allier problèmes socio-politiques avec humour satire et dérision .

Le Street art est avant tout un mouvement artistique libre, fascinant et complexe tant de par la variété des techniques utilisées que par son aspect éphémére et l’universalité des messages qu’il transmet.

La rue devient un musée, l’art accessible à ceux qui y sont sensibles et les plus célèbres expositions et maisons de vente s’en emparent. 

On a « dépénalisé » le Street art 

Il y a même de singulières collaborations artistiques nées de rencontres entre amoureux de cet art et de la technique horlogère.

Il en va ainsi de celle d’un bisontin débordant d’énergie subversive et créative qui a révolutionné l’horlogerie comtoise sous un étendard à consonnance latine – UTINAM – et d’un artiste de Street art originaire d’Avignon : Pablito Zago ! 

Utinam, interjection latine qui signifie « si seulement » est la devise figurant sur le blason de la ville de Besançon capitale horlogère française : c’est aussi la marque de fabrique de Philippe Lebru qui depuis plus de 30 ans crée des horloges mécaniques contemporaines au mouvement manufacturé breveté. Chacune d’entre elles est une œuvre d’art et en l’occurrence, Pablito Zago s’est inspiré des fresques monumentales qu’il a réalisées à Athus, Mexico ou Dakar pour sublimer les pièces de huit de ces horloges pop up.

Le résultat est là : c’est aussi ça la vie d’artiste, une mise en commun d’émotions, et de savoir-faire qui n’étaient pas forcément destinés à se rencontrer et qui donnent naissance à des créations uniques.

Ici le Street art s’est immiscé dans l’art « de grignoter le temps »*** 

Les combinaisons sont infinies…et l’art a ceci de merveilleux qu’il n’y a pas de limite pour qui veut laisser libre cours à l’enthousiasme de sa créativité.

Et dans ce monde que d’aucuns prédisent comme étant fini, pourvu que ça dure !

*Miss Tic

** MissTic

***Alphonse Allais